segunda-feira, 18 de abril de 2011

À l'ouest, rien de nouveau...

Pour en finir avec la «guerre du voile»
(La prohibition du port du voile n'a aucune légitimité légale)
JEAN-MARIE DERMAGNE
Avocat et directeur du Service d'information et de recherche sur le droit de l'enseignement.
0PINION - www.lalibre.be Mis en ligne le 23/01/2004
Qu'on le juge bon ou mauvais, la prohibition du port du voile n'a aucune légitimité légale. Aussi puissants que soient les symboles, il n'est question dans ce débat que de vêtements.
Le voile à l'école (ou au travail), je ne suis ni pour, ni contre. Bien au contraire, comme disait l'autre... Les arguments des deux camps, mis à part ceux qui sont inspirés par l'intolérance ou l'islamophobie, sont, sinon tous convaincants, à tout le moins pertinents en cela qu'ils servent avec justesse, dans les deux camps, les idéaux qui les sous-tendent: laïcité de l'espace public et émancipation de la femme, d'un côté; tolérance et liberté religieuse, de l'autre. Je n'ai pas la prétention de vouloir trancher le débat. Le voudrais-je que j'aurais bien du mal car mon coeur balance d'un bord à l'autre, s'arrêtant même parfois dans le marais des «sans opinion».

Faudrait-il que le législateur tranche? Je ne le crois pas car, comme disait Montesquieu, les moeurs font de meilleurs citoyens que les lois. Mais la question qui m'occupe n'est pas même celle de l'opportunité d'une loi mais de savoir si le législateur (ou une autre autorité publique : le gouvernement, un conseil communal, par ex.) a le droit d'interdire le port du voile. A mon sens, la réponse à cette question de la légitimité d'une prohibition légale (ou réglementaire) du voile est clairement: non! Aussi puissants que soient les symboles (puissance symbolique qui est renforcée par la stigmatisation et l'interdiction), il faut rappeler qu'il n'est question ici que d'accessoires vestimentaires, de fringues quoi! La façon de s'habiller est certes souvent, sinon toujours, signifiante. Elle n'obéit pas seulement à la pudeur ou au climat. Lorsqu'elle est un mode d'expression des convictions, elle est, à ce titre, protégée contre l'ingérence du pouvoir, par les libertés fondamentales et les chartes qui en garantissent le respect.
Déjà, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, habitée par l'esprit des Lumières, proclamait que « La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas », ajoutant que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ».
Depuis 1948, la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'Onu garantit à toute personne le droit à la liberté de penser, de conscience et de religion, proclamant que ce droit implique «la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites». Selon la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adoptée en 1950, la liberté de manifester sa religion ou ses convictions « ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».
Sans doute parce que la société occidentale a été, et reste, imbue de culture chrétienne, on n'a jamais songé à interdire le port du voile aux religieuses catholiques dans les écoles ou les hôpitaux, même sous le prétexte que les cornettes étaient dangereuses ou que les jeunes novices se voyaient imposer la robe et le voile par les religieuses plus anciennes au mépris de leur liberté et de leur émancipation... Pourquoi l'autorité publique aurait-elle une légitimité à agir autrement à l'égard du voile islamique? Il se conçoit difficilement que le port du foulard puisse mettre en cause la sécurité, l'ordre, la santé ou la morale publiques ou porter atteinte aux droits et libertés d'autrui.
En France et dans certains cantons suisses, la situation est quelque peu différente car le principe de laïcité y a valeur constitutionnelle. Dans un arrêt de 2001 en cause de Dalahb contre la Suisse, la Cour de Strasbourg a considéré que l'interdiction du port du foulard, pendant ses classes, imposée à une institutrice de l'enseignement primaire, n'était pas une mesure disproportionnée, compte tenu du fait que la laïcité est un principe contenu dans la Constitution du canton de Genève, son employeur. La situation belge est tout autre, qu'on le regrette ou non.
A ceux qui pensent que les libertés fondamentales ne peuvent traverser les murs de l'école et être invoquées par les élèves, il faut rappeler que la Convention des droits de l'enfant, adoptée par l'Onu en 1989, garantit aux mineurs la liberté d'opinion ou d'expression. Certains tentent de contourner l'obstacle en glissant des interdits vestimentaires dans les projets d'établissement ou les règlements d'ordre intérieur des écoles pour jouer ensuite la carte contractuelle: «si vous venez chez nous, vous êtes priés de vous conformer à la pédagogie et à la discipline de notre établissement». C'est oublier que les droits de l'homme ne sont pas dans le commerce et ne se bradent pas! Un règlement d'ordre intérieur ne peut restreindre les libertés, qui, faut-il le rappeler, consistent à pouvoir «faire tout ce qui ne nuit pas à autrui» (article 4 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789). La loi belge du 3 février 2003 prohibe de surcroît, de manière générale, toute forme de discrimination. Risquer de créer une ségrégation entre des écoles «pour» et des écoles «contre» le foulard, c'est, alors qu'on s'est battu pendant des dizaines d'années contre l'apartheid racial, admettre de facto un apartheid islamo-vestimentaire. Les écoles, qu'elles relèvent du secteur privé ou qu'elles soient organisées par la collectivité, sont un service public dont l'accès ne peut être rétréci même par des règlements intérieurs, pour cause de tenue que l'on jugerait aujourd'hui excessivement pudique (comme furent parfois interdites, naguère, les mini-jupes jugées trop impudiques...). Qu'on le juge bon ou mauvais, le port du foulard est légal!
© La Libre Belgique 2004

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