Au Brésil, un cadre, un gérant, une secrétaire ne voient pas pourquoi il faut apprendre la langue à partir d’un poème. « A quoi ça sert ? » c’est toujours la question. « On peut appréhendre la culture par d’autres moyens », c’est leur argument. Trop habitués à donner des ordres, les PDG ne veulent plus en accepter. Un adulte qui re- apprend à parler, qui doit découvrir un autre système qui n’appartient pas à son domaine, redevient un gamin. Alors là il veut attirer l’attention, il veut faire du cinéma, il veut un coup de baguette magique qui brûle les étapes, il ne veut pas faires ses devoirs, le malin ! Et pourtant l’univers du business n’est fait que de déjeuneur d’affaires. Celui qui a un horizon plus vaste va plus loin. Celui qui a un éventail de possibilités linguistiques peut choisir sa vérité au lieu d’être guidé par des mots-clés ou des clichés. Nous, les profs, on ne peut pas leur faire avaler à froid ce que nous-mêmes on a pris assez longtemps pour assimiler. Il faut montrer les chemins pour qu’ils se décident eux-mêmes.
En outre on rajoute à ces donnés un autre aspect très important : le Brésilien ne lit point. Dans un bus, dans un train ou dans un métro, on voit des groupes bavards, qui parlent fort, qui rigolent, mais c’est rare qu’on aperçoit des gens plongés dans un livre. Un poème, alors ? Bon...
Le poème est très important pour travailler l’intonation, la phonétique, la musique de la langue. Voir les mots découpés autrement, dans un autre espace ; se rendre compte d’un sens caché, des subtilités de la langue, des nuances ; interpreter l’histoire, comprendre la situation sans avoir les ressources physiques des connecteurs, des déterminants ; gagner la voie de l’abstrait.
Donc j’enseigne d’abord la musique du poème. Les phonèmes que nous n’avons pas : le son de la lettre u, par exemple, que peut devenir y ou ou quand on a le portugais comme L1. Mais on a rue, riz, roue... comment se faire comprendre ? Si on ne peut pas reproduire le son on ne peut pas l’entendre, on ne peut pas le comprendre. Si on ne peut pas le comprendre, comment se faire comprendre ? A ce moment-là ils comprennent le pourquoi de travailler un poème. On ne comprend pas les mots ? Ce n’est pas le but d’exercice, alors :
Que peut un mur/ Pour un blessé / Et pourtant/ Il en vient toujours dans les batailles/ S’y adosser/ Comme si la mort ainsi/ Permettait de mourir/ Avec plus de loisir/ Et quelque liberté.(Eugène GUILLEVIC)
A la fin de la lecture ils parlent de liberté, de résistence et de révolte. Ils ont compris le texte à partir de la musique de la langue. De la culture. De la magie. De la langue.
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